La terre aride s'étendait au-delà des collines pelées, au nord vers la forêt décimée, au sud vers la mer asséchée. Partout où il se portait, le regard ne rencontrait que désert. Désert d'Hommes, désert de vie.
Pas strictement inhabité cependant. Là-haut, sur l'une de ces collines enflammées par le chaud soleil levant, une jeune femme vêtue de bure, la taille ceinte d'un chapelet de perles, invoquait désespérément les dieux, dans l'air lourd de poussières d'ocre. Ses longs cheveux bruns flottaient d'avant en arrière, au rythme des balancements de son corps gracile et des sons gutturaux, entrecoupés de cris suraigus, sortaient des tréfonds de son être. Noa, en tant que prêtresse, devait prendre une décision essentielle. La cohésion du groupe, ainsi que sa survie à long terme en dépendaient. Les besoins de la communauté devaient passer avant ceux des individus. « Ubu mnyama fade engqon dweni yami, que les ténèbres s'effacent de mon esprit, que la vraie voie s'impose à moi ! »
Elle-même n'avait pas choisi d'être Sage et Mage. Ses dons, ses capacités à sentir les émotions de ses compagnons, son empathie innée ainsi que ses antennes tournées vers les cieux, sachant capter les conseils divins, ont fait d'elle, tout naturellement, une Sœur. Elle aurait pourtant aimé vivre dans la simplicité, comme tous les autres habitants du camp, travailler dur pour préserver le fragile équilibre du jardin d'Eden qu'ils avaient réussi à créer au pied de la colline. Elle aurait aimé jouir de tous ses sens, mais surtout, elle aurait aimé porter la vie. Oh ! combien ce désir profond la tourmentait, combien ce besoin pressant lui gâchait ses nuits. Ses entrailles se resserraient lors de chaque naissance, à chaque annonce de grossesse, à la vue de tous ces ventres fertiles. Mais son rôle, à elle, était d'apposer ses mains sur ces belles femmes pour y assurer la reconnaissance des dieux, d'apaiser les futures mères, de masser leurs périnées distendus lors de l'accouchement. Y chercher le bébé parfois. Et aussi accomplir les derniers rites si la mère ou le nourrisson ne survivaient pas à cette ordalie.
Le rôle de Noa et des deux autres Sœurs était si important pour leur peuple, qu'il leur imposait cette virginité, tant physique que spirituelle : leur esprit et leur corps devaient être tout entier dédiés au service des dieux et des Hommes de la tribu. Elles n'avaient pas le droit de se laisser distraire dans leur lourde tâche, elles ne s'appartenaient pas. Lorsque, dans dix ou quinze ans, Noa ne pourra plus enfanter, le clan lui permettra peut-être de s'unir, de temps en temps, avec l'homme qu'elle aime en secret depuis bien longtemps. À la condition, qu'il y ait un nombre suffisant de prêtresses et qu'elle ait formé, d'ici là, une remplaçante aussi digne et puissante qu'elle.
Méliana présentait à l’évidence des capacités prometteuses. À douze ans, elle se montrait déjà très attentive aux autres, réceptive à leurs émotions ainsi qu'aux diverses manifestations divines sur la planète. Elle était déjà capable de guérir de petites blessures par simple imposition des mains. Avec de l'entraînement, elle pourrait sans doute développer ses dons pour le bien-être de la communauté. Le voudrait-elle ? Noa n'en était pas sûre à vrai dire. Méliana avait un côté tête brûlée, individualiste qui ne cadrait pas avec ce qu'on attendait d'une future Sœur. Certes, elle était encore très jeune. À Noa de guider la petite fille vers la sagesse. En avait-elle la force ? Il le faudrait bien.
Elle repensa à Kloé avec amertume. Ce fut son échec le plus cuisant et il s'en était fallu de peu qu'elle soit bannie avec la jeune fille. Le clan n'autorisait pas les erreurs, sa survie en dépendait. Noa accentua son balancement sous l'effet de la colère. Comment, cette idiote avait pu lui faire une chose pareille ? Lorsque Noa l'avait sélectionnée pour devenir l'une des futures prêtresses, la jeune fille avait été ravie. Elle rêvait de tout ce que ce statut pourrait lui conférait de prestige et Kloé avait été très avide de prestige. Beaucoup trop. La puberté sévissant, les hormones avaient pris le dessus malgré l'aide des préparations herboristes magiques que Noa lui intimait de prendre, Kloé s'était laissée emporter par ses sens et son désir de connaissance charnelle. Tout se savait dans la phratrie et tout se sut à la minute où son plaisir fut consommé. Noa fut vertement réprimandée pour n'avoir pas su contenir les effusions de la jeune femme, pour avoir manqué à son devoir de formation et d'éducation. Quelques membres de l'assemblée voulaient lui réserver le même sort qu'à Kloé, mais, par chance, une future mère sur le point de donner la Vie insista pour avoir Noa auprès d'elle. D'autres mères se joignirent à elle et firent pencher la balance en sa faveur.
La tribu n'avait pas de leader temporel. Chaque membre, jeune ou vieux, homme ou femme, avait voix au chapitre et les décisions se prenaient par consensus. Toutes les voix devaient approuver ou rejeter d'un commun accord les choix proposés par les habitants. Ils avaient longtemps palabré pour savoir s'il fallait ou non expulser Noa et Kloé. Le bannissement était une arme suprême, extrêmement dissuasive, très efficace pour éviter les débordements inévitables dans tout regroupement humain. L'exclu était rejeté à l'extérieur du jardin d'Eden pour une durée déterminée, allant de quelques heures à quelques jours. L'exil pouvait être conscrit à la journée ou inclure la nuit. Dans ces contrées hostiles, une expulsion de plusieurs jours pouvait être fatale aux moins aguerris.
Noa ne fut pas condamnée, car le peuple estimait qu'elle était trop précieuse pour eux, surtout avec l'arrivée imminente d'un bébé. Mais cela lui avait servi d'avertissement. Elle ne pourra pas se tromper une deuxième fois.
Quant à Kloé, son cas était plus compliqué. Elle avait trahi le code moral le plus crucial du camp. Cependant, toute jeune femme a priori fertile était une richesse rare pour le petit groupe qui luttait pour sa survie, qui avait un besoin vital de renouveler ses forces vives. Déchue de son rôle de prêtresse, elle pourrait toutefois être mère. Mais une mère sans moralité, sans respect des règles de la société, ne pouvait engendrer que des rebelles, des trublions. La communauté décida donc de la bannir pour la durée de deux jours et Kloé fut condamnée à errer, seule, dans les collines inhospitalières. La jeune femme ne revint pas et l'on ne retrouva jamais son corps.
Dans un long et terrible soupir, les épaules de Noa s'affaissèrent à ce souvenir. Elle s'agenouilla alors sur le sol caillouteux et implora les dieux : « Oku fanele ngiwu khethe, dois-je choisir Méliana ? aidez-moi à prendre la bonne décision ! » Elle se prosterna ensuite trois fois en répétant un mantra très puissant, puis se coucha sur le ventre, les bras en croix, la tête dans la terre brûlée et médita ainsi plusieurs heures.
De retour au campement, Noa rejoignit ces deux autres acolytes et leur soumit sa conclusion pour approbation. Si toute l'assemblée prenait part au processus de décisions ordinaires, les trois prêtresses choisissaient, seules, de sélectionner ou non, une nouvelle recrue.
Elles réunirent tous les habitants et Noa prit ainsi la parole : « Nous, les Trois Sœurs, Grandes Prêtresses d'Usgo, Sage et Mage, nous avons convenu de ne pas choisir Méliana pour la former à notre image. Nous avons estimé que son rôle était de participer au repeuplement de la tribu. » Puis, s'adressant directement à la jeune fille, elle ajouta d'une voix pleine de tendresse : « Méliana, une fois atteint l'âge et la maturité nécessaire, tu pourras t'accoupler avec tous les hommes, jeunes ou vieux, selon tes désirs. Tu auras cependant l'obligation, comme toutes les femmes du clan, de ne pas te réserver à un seul homme. Organisez-vous pour répartir vos faveurs de manière équitable entre tous les mâles, afin qu'aucun ne se sente délaissé. Fréquente avec assiduité, dès maintenant, toutes les mères pour te former et apprendre d'elles ton futur rôle de procréatrice. » Puis Noa termina en s'adressant à tous : « Préparons une grande fête et célébrons ensemble l'arrivée de Méliana, future source de Vie, dans le Cercle des Femmes ».
Alice de Castellanè
Chaque jour, à la même heure, je m’alanguis sur le sable doré, une bière-limonade à portée de main, paille et rondelle de citron. Et l’immuable ombrelle de papier.
Ils meurent par centaines, par milliers, crucifiés sur les barbelés de nos murs anti-invasions, échoués sur nos plages, largués par des pirogues de fortune, asphyxiés par les gaz d’échappement sous le plancher d’un train routier. Ils meurent par poignées, par grappes, sous les balles que nous avons fabriquées, avec l’argent que nous avons donné à leurs ennemis en échange de quelques litre
— Ladiez and gentlemen, diz way pleaz !
Oh bonne mère ! Si un jour, on m'avait dit que le purgatoire c'était ça ! Cela doit bien faire cinq cent ans et des brouettes que je hante nuit et jour cette cathédrale et en toute honnêteté, les quelques années précédentes ont été les plus difficiles. Cette guide-là doit être à l'évidence la dernière épreuve que Saint-Pierre m'envoie avant de m'ouv
La vieille patiente là, sur le pavé, rue Picpus, son étal à ses pieds. Comme chaque matin de chaque année depuis des lustres. Sur le tréteau de bois fatigué, trois boîtes de fer.
Il l’é