La pluie dansait dans son cou. Couchée dans le pré du père Marcel, Marguerite considérait la vie, l'œil dans le vague. Marguerite, Marguerite. Était-ce vraiment son nom ? Elle aimait les mots, Marguerite. Et celui-là ne lui paraissait pas très soyeux.
Marguerite secoua la tête, en fin de compte, la pâquerette la faisait loucher. Adriyeeeng avait terminé le travail du nouveau. En maugréant entre ses dents. Sous son apparence mal dégrossie, c'était un doux et elle l'aimait bien quand même. Peut-être même qu'elle allait le regretter un jour. Il lui laissait le champ libre et lui tapotait l'épaule quand elle tentait de reproduire ses mots qu'elle chérissait tant. À son grand désespoir, le résultat n'était pas à la hauteur.
Swept away fino in fondo unsere Zeit,
Irgendwie, me encanta.
I'm floating… Regalami mi vida
Cada tarde in meinen Träumen !
Demented, am I ?
Parce qu'avant le petit gars de ce matin, il y en eut tout un tas d'autres. Des filles aussi, venus de tout l'univers et au-delà. Chacun d'entre eux apportait son lot de fantaisie que Marguerite s'empressait de tricoter. Mais son prénom, elle ne l'aimait pas. Pas plus que Bobonne qui lui donnait du « La Grosse ». Elle disait à Adriyeeeng : « Adriyeeeng, où est La Grosse ? » ou « Adriyeeeng, La Grosse a encore fait une bêtise, fait quelque chose, Adriyeeeng ! ».
Cerise. Elle voulait s'appeler Cerise désormais. Et rien ne l'en empêcherait.
Les gouttes rebondissaient sur son cuir brun, ploc, s'éclataient et s'évanouissaient dans l'herbe mouillée. Marguerite/Cerise se releva et décida de continuer son voyage en passant par les prés du Louis. Ce soir, elle irait s'abriter dans sa forêt. Depuis si longtemps qu'elle en mourrait d'envie. La vie en plein air, à la rude, il n'y avait que ça de vrai. Adriyeeeng viendrait peut-être à sa recherche. Elle ne savait pas si cela lui importait ou non qu'elle ait déserté le campement. Par contre, Bobonne ne pourra rien dire. Elle ricana. Bien fait, cette horrrrriiiible bonne femme n'avait eu que ce qu'elle méritait.
Horrrrriiiible, voilà encore un mot que Cerise connaissait bien. Cette mégère le répétait sans cesse. Quand on lui avait enlevé son bébé, Cerise avait roulé le son dans sa gorge, craché dans sa couche, hurlé, spaventevole, schrecklich, espantoso, frightful. Comment cette garce avait-elle pu faire cela ? Oh ! ce n'était pas elle qui était venue en personne lui prendre son nouveau-né. Mais dans la tête de Cerise aucun doute ne subsistait : les petites mains n'avaient fait que suivre les horrrrriiiibles ordres de Bobonne. Même Adriyeeeng avait eu la larme à l'œil. C'était dire ! Ce fut ce jour-là que Cerise — l'éplorée Marguerite d'alors — avait décidé de partir. À tout prix.
Elle ne put mettre son plan à exécution que ce matin, bien des jours après le douloureux événement. Adriyeeeng, qui s'était retrouvé tout seul à faire le boulot à cause de cette maudite Bobonne — ses termes à lui — n'avait pas crocheté correctement le portail. Cerise s'était donc éparpillée dans le jardin, grappillant au passage tout ce qui la narguait auparavant. Quand elle avait vu la porte de la maison grande ouverte, elle s'y était aventurée sans trop réfléchir. Ce n'était pas dans son plan. Mais si Bobonne se trouvait à l'intérieur, ce qui était fort probable, elle pourrait en profiter pour se venger.
Quelle joie, cette liberté retrouvée. Cerise contempla la vallée, gourmande de fraîcheur et d'air pur. Un grain de sable vint cependant gâcher son plaisir. Ses mamelles gonflées à bloc, lourdes comme des bidons se balançaient entre ses jambes. À chaque pas, ça la brûlait. C'était l'heure de la traite et personne pour boire son lait. Et son petit qui ne reviendrait pas. Cerise, pour la première fois de la journée, ce demanda si elle avait pris la bonne décision. Mais le souvenir de son enfermement continuel, les cris de Bobonne, les tapes sur les fesses, tout cela reflua par baffes. Oh que oui, elle avait bien fait de tout plaquer. Non, elle ne regretterait rien. Elle hésita pourtant à mener plus avant dans la forêt. Elle était goulue d'avoir tant brouté d'herbe fraîche, un peu ballonnée aussi. Et pis, elle avait soif.
Corazón, Küsse, love. Ces mots, si doux, ils lui revinrent en mémoire. Elle s'en gargarisa, juste pour le plaisir et un peu pour chasser la fièvre qui commençait à monter en elle. Elle se coucha. Horrrrriiiible, furchtbar. Elle ne regrettait rien, même si elle devait mourir là, maintenant. Dans un brouillard lointain, elle perçut comme un son, un « hoooo-la, Marguerite ! ». Elle se dit que quelqu'un devait avoir perdu une fleur. Elle ferma les yeux. Bizarre comme cette voix ressemblait à s'y méprendre à celle d'Adriyeeeng. Cerise crut entendre des mots jolis, des chansons qui parlaient à son cœur. Elle devait déjà être à moitié partie dans le pays des songes ou celui des anges. Au loin, embuée d'une aura mystique, elle perçut aussi « mammites », « fièvre ». Puis un chuchotement, soudain très proche, juste là dans son oreille : « Marguerite, c’est toi qui as encorné Bobonne, hein ? Merci, Marguerite, merci ! » Elle n'eut pas la force de répondre : « Cerise, pas Marguerite, Cerise... »
Alice de Castellanè
Son univers craquelle, un capharnaüm multicolore s’épand puis s’ébat dans sa tête. Il hurle, se déchire les tympans. Comment a-t-elle pu l’abandonner, seul, dans ce désert peuplé de loups hargneux ? Des dragons venus d'outre-tombe le harcèlent, l'ensorcellent, l'agrippent de toute part. Des nuances de rouge, de gris s’entremêlent devant ses yeux. Les ombres l’embrochent.
Elle l'observait par delà les flammes, fermant un œil, puis l'autre, en le couvrant de sa main. Qu'il était beau son Aimable dans la lumière scintillante du brasier ! La petite fille soupira d'aise. Elle pouvait passer des heures à le regarder, de loin, bien cachée derrière un muret de pierres, dans le creux des branches du vieux saule, ou tapis sous un buisson de romarin.
— Ladiez and gentlemen, diz way pleaz !
Oh bonne mère ! Si un jour, on m'avait dit que le purgatoire c'était ça ! Cela doit bien faire cinq cent ans et des brouettes que je hante nuit et jour cette cathédrale et en toute honnêteté, les quelques années précédentes ont été les plus difficiles. Cette guide-là doit être à l'évidence la dernière épreuve que Saint-Pierre m'envoie avant de m'ouv
(court métrage)
1. Int/Jour – Coffee shop new-yorkais
Café typiquement new-yorkais, grands tableaux mentionnant les différentes boissons, tables hautes, confortables sofas, etc. KEVIN, un jeune homme (18-22 ans) est assis à l’une des tables rondes traditionnelles en face de SOFIA, jolie quinqua, blonde. Ils boivent un