Le train glissa en silence dans la lumière diffuse du mitan, abandonnant Cathy sur le quai désert. Décontenancée par l’absence de signalétique, elle farfouilla dans son sac et en ressortit la précieuse photographie. C’était bien ici, elle ne s'était pas trompée : le même village étincelait en face d'elle, sur la colline. Rassérénée, elle entreprit de gravir d’un bon pas la faible côte.
Il avait été convenu que son fils vienne la chercher à son arrivée. Elle haussa les épaules. Ils ne tarderaient pas à se croiser sur cet unique chemin. À moins qu'Aline, la mégère qu'il avait épousée une dizaine d'années plus tôt ne fasse barrage ? Cathy chassa bien vite ce nuage noir. Rien ne devait assombrir leurs retrouvailles. Elle repensa à l'indicible joie lorsqu'elle reçut, il y a quelques jours, cette invitation à déjeuner tous ensemble dans le restaurant réputé de ce petit coin de paradis. Une main tendue signée Aline. La photo était jointe à sa lettre. Cathy était extatique : elle allait enfin serrer sur son giron ses trois petits enfants. Tant de câlins perdus, quel gâchis. Oh, comme elle avait pu haïr celle qui avait ravi le cœur de son fiston et lui avait interdit, malgré ses efforts répétés, l'accès à leur maison. Quels divins instants en perspective !
Tout à sa félicité, Cathy se retrouva plus vite que prévu à l'entrée du village. Elle s'arrêta une minute pour souffler. Personne à l’horizon. Pas même un véhicule ou un piéton. Un coup d'œil rapide sur la place la rassura. Les terrasses étaient dressées et les boutiques à touristes débordaient de souvenirs. Soudain, elle réalisa que le silence régnait en maître : aucun chant d'oiseaux ou claquement de talons sur le pavé, aucun miaulement. Le cœur battant, elle fit le tour des rares rues. Vides !
De retour au centre, elle s'aperçut que les chaises du restaurant avaient été déplacées, comme si des clients transparents s'étaient attablés. Peut-être n’était-ce pas le bon village ? Elle repêcha dans son sac le fameux cliché. Elle dut s'asseoir tant ses jambes flageolaient : la photo ne dépeignait plus la bourgade vue de la route d'accès, mais l’esplanade où elle se trouvait. Elle tourna la tête vers la droite, l'image parut se décaler un peu. Cathy pivota sec. L'image suivit sa trajectoire.
D’un geste frénétique, elle déchira l'épreuve démoniaque et l’envoya valser aux quatre vents. Dans un état d’intense panique, elle s'empara d'une bicyclette adossée à un mur. Vite, quitter ses lieux maudits, attraper le train et retrouver la civilisation. Mais une voix d'outre-tombe interrompit son mouvement : « Bienvenue dans le royaume des Êtres Invisibles ! Tu t’es laissé guidé par la photo, tu resteras ici pour l’éternité. Aucun retour possible dans l'autre monde. Ne cherche pas la gare, elle n'existe plus. Installe-toi dans la maison que t’indiquera le cliché et jouis enfin du silence et de la solitude ! »
Un long hurlement se propagea dans l'azur sans nuages : « Aliiiiiiiiiiine ! »
Alice de Castellanè
Paris, le 21 septembre 1897
Monsieur,
Où trouvé-je la force de commencer cette lettre par un cérémonieux « Monsieur » ?
– Seigneur, voilà que la première vendeuse se pâme !
– Vous croyez qu'elle est grosse ?
– Il se peut. Cela fait trois mois tout juste qu'elle a épousé Pierre Guichard, le second à la soie.
– Et ce Pierre-là serait le père ?
– Vous en doutez ?
– Ces dernières semaines, je l'ai souvent vue dans le bureau du sous-directeur.
– Voulez-vous dire qu'elle a… qu'avec
Ce n’est qu’arrivé au centre de l’allée « Conserves et condiments » que le vieux Matthieu se rendit compte qu’acheter une boîte de petits pois allait s’avérer plus complexe qu’il ne le l’avait imaginé.
Une borie, tas de pierres amoncelées au fil du hasard, se dressait à deux pas du Petit Chaperon Rouge. Deux longues enjambées et elle pourrait trouver refuge dans cette rustique masure.