Vert ! c'est ça, vert. Jamais ce mot n'aurait dû sortir de sa bouche, elle avait tenté de le ravaler aussitôt, fermant ses lèvres avec la paume de ses deux mains ; l'avait-il entendu ? À l’évidence. Il entendait tout, notait tout sur son petit carnet noir. Pourquoi ce mot avait-il jailli avec la brutalité d’une explosion, un bouchon de champagne qui saute, une bouteille qu'on aurait trop secouée et pop ! le mot avait été expulsé sans qu'elle puisse y faire grand-chose pour le retenir. Dans deux minutes, il allait lui répéter le mot : vert ? espérant ainsi la pousser à s'expliquer. Mais elle ne dirait rien, rien de plus. Il fallait absolument garder tous ces mots interdits bien enfuis au fond de son âme, citadelle imprenable, fermée à double tour, avec une clé qu'elle avait perdue et que personne ne devrait retrouver, même pas lui avec ses grands airs d'intello et son carnet noir. Surtout pas lui. Voilà, ça y est, il avait répété le mot, attendait avec patience qu'elle reprenne ; mais reprendre quoi au juste ? elle ne savait même pas pourquoi elle avait prononcé ce mot-là, pourquoi pas « jaune » ou « bleu » ? Elle savait juste qu'elle n'aurait jamais dû le laisser s'évader. Jamais.
Hier, ou était-ce avant-hier ? elle perdait souvent le fil du temps, égarée dans un monde indéfini où les repères se faisaient flous (était-ce le soir ou le matin, le déjeuner ou le dîner), la faute à tous ses cachets qu'on la forçait à avaler « pour son bien », elle les avalait, parce qu'elle n'avait jamais appris à refuser ce que l'Autorité lui imposait (c'était le médecin, il détenait la Connaissance ; pourquoi aurait-elle discuté ses ordres ?). C'était donc à la séance d'hier ou d'avant-hier, qu’un autre mot avait jailli, lui aussi, sans qu'elle puisse le retenir : charognard. Elle n'avait jamais vu ce genre de rapace, ni dans la nature, ni dans un quelconque parc ornithologique, alors pourquoi ce mot, ce fragment sorti du néant, sans aucun lien avec d'autres éléments familiers ? Le psy avait ainsi noté « charognard » à côté de « maman » et « strident » ; il venait d'ajouter « vert ».
Trop de mots évadés, trop ! Elle avait peur, une peur viscérale qui lui tailladait le ventre de l'intérieur, il ne fallait pas qu'il trouve la clé, ça ne doit pas s'échapper de là ; Dieu l'a dit, Dieu le veut. De toute façon, elle n'aimait pas ce médecin, obséquieux, snob, trop sûr de lui, hautain, détestable en tout point, et d’ailleurs, pourquoi s'habillait-il toujours en noir ? il voulait se donner un genre, style « architecte de renom ascétique », épuré comme son œuvre, aller à l'essentiel, vers les tréfonds de son âme. Il n'obtiendrait pas d'autres mots. Elle n'avait pas confiance. Elle craignait que sa cocotte-minute fût sur le point d'entrer en éruption, que d'autres fragments risquaient de s'échapper et pire, qu’un torrent de lave et de boue se répande bestialement. Et elle ne pourrait rien faire, rien, c'était un processus autonome, indépendant de sa volonté, elle n'était que la gardienne (une bien piètre gardienne) de ce feu bouillonnant, une excroissance d'elle-même, un autre « je », un ruisseau à canaliser, mais oh ! comme cela devenait insupportable. Elle se sentait faiblir de jour en jour, les séances s'enchaînaient à un rythme endiablé, lui semblait-il, d'une, tous les trois jours à son arrivée ici, au centre hospitalier sur la colline de Montfavet, dans l'unité spécialisée pour les malades difficiles, disait-on avec pudeur (comme si on avait besoin de prendre des gants avec des gens comme elle), ils étaient passés à des séances quotidiennes ou même biquotidiennes, mais cela, elle n'en était pas certaine, le temps de repos et les repas se suivaient, eux aussi, à intervalles flous ; il faudrait qu'elle pense à demander une pendule ou une montre. Elle percevait que son environnement flottait autour d’elle et qu'elle n'avait plus prise sur rien. Rien.
***
Il avait proposé de l'hyp-no-ti-ser (elle séparait chaque syllabe pour tenter de démythifier ce jargon qui lui faisait très peur). C'était « pour son bien », pour l'aider à comprendre pourquoi elle avait agressé avec une affolante sauvagerie ce petit curé de campagne qu'elle n'avait jamais rencontré auparavant. Elle-même n’en avait aucune idée. Elle avait fait sa connaissance quelques jours plutôt quand elle était accourue au chevet de sa mère mourante. L'homme d'Église était là, mais, toute à son chagrin, elle l'avait à peine remarquée. Ce n'était qu'au cimetière, lors de l'ensevelissement, alors qu'il se penchait sur son front pour la bénir qu'elle fut soudain prise d'une folie furieuse et qu'elle le frappa à plusieurs reprises avec l'aspersoir. Sans aucune raison. Personne n'avait compris, d'ailleurs.
Le psy lui avait donc dit qu'une séance d'hypnose pouvait l'aider à interpréter ce geste incompréhensible qui avait coûté la vie au vieux curé. Elle avait hésité, dialogué lontemps avec elle-même, pouvait-elle prendre le risque ; ses mots secrets n’étaient-ils pas menacés ? il l'avait rassurée, il ne pourrait pas la faire parler contre sa volonté, que seules les choses qu'elle accepterait de dévoiler, comme en pleine conscience, pourraient être exprimées. Il était si persuasif, qu'elle s'était sentie obligée d'acquiescer et la voilà donc, là, sur ce divan, apeurée, démunie, face à l'imposant médecin qui s'apprêtait à l'hyp-no-ti-ser.
***
Ses yeux verts, immenses, magnétiques s'approchent d'elle, l'obligeant à rester tranquille, pas bouger, rester sage, chut ! pas crier, mais elle hurle, des cris stridents, pas elle, la petite fille qu'elle peut voir, maintenant, là, étendue sur le sol au-dessus de laquelle plane un charognard, un vieux curé en soutane, pas celui qu'elle a assassiné, non, un autre, plus déplaisant, mais comme l'autre, penchée sur elle, souriant d’un air menaçant, lui tenant les bras en croix, s’agitant sur elle, en elle. Elle voit sa mère, vivante, à l'autre bout de la pièce, maman, mais non, sa mère est morte, n'est-ce pas ? où est maman, pourquoi ne bouge-t-elle pas ? maman disparaît, une douleur sourde lui fait réintégrer son corps, des yeux marron ont remplacé les yeux verts, mais un rapace plane encore et toujours sur elle, l’ascète a remplacé la soutane, elle voudrait crier, maman ! mais maman n'est plus ; la petite fille n'est plus ; pas crier, non pas crier, ne rien dire, jamais. Jamais.
Alice de Castellanè
Commencez par découper 2 bouvreuils en 6 morceaux, éventuellement après les avoir plumés, vidés et étêtés (selon vos goûts personnels).
Mettez-les à mariner dans une émulsion éburnéenne que vous aurez réalisée au préalable avec 50 cl de lait de coco, 2 feuilles de curry (Kaloupilé), 1 petit piment rouge coupé en deux et épépiné et quelques grains de poivre.
Je t'attends. Tu pars, mais je serai là, sur ce banc, à ne penser qu'à toi, mon cher mari.
La ferme végète. Par manque d'hommes, de chevaux, tous au front à maîtriser l'ennemi.
Mais le potager et le verger ne nous ont pas délaissés.
Je peux nourrir le petit Paul et donner mon lait à notre Yvette qui ne connaît pas encore tes bras valeureux.
Le télégramm
Ce qui aurait dû être un joli matin de mai n'était que grisaille et froidure. La neige était subitement tombée hier en abondance, non pas aérienne, immaculée, mais souillée, polluée. Elle avait fondu assez rapidement par endroits, comme réchauffée par ses propres radiations. Assise sur le porche de sa petite maison nichée au cœur de la forêt vosgienne, Elisabelle regardait son jardin d'un œil v
Avril 2034
Un chaton de peuplier virevolte autour de Gabriel qui ne peut réprimer un éternuement. Des « chut ! » tout aussi sonores lui rappellent cependant que la discrétion s'impose. Le groupe de jeunes gens s'affaire à l'orée de la forêt de cèdres, un peu à l'écart des adultes et de leur excitation. Là-bas, aux abords du village de fortune, les ordres fusent, se