Peut-être était-ce un lundi, à moins que ce ne fût un mardi. Le commissaire Jean-Baptiste Adamsberg n'avait qu'une idée très vague des marques du temps. Il croyait se rappeler que l'on était en septembre, et encore, parce que c'était la fin du mois et qu'il avait eu le temps de s'y habituer.
Il erra longtemps entre les divers rayons, ayant totalement oublié ce qu'il était venu acheter. Le souvenir allait remonter de lui-même à la surface. ll savait d'expérience qu'il ne fallait pas le brusquer. La seule chose à faire était de marcher sans se presser, vider son esprit, rentrer dans une moelleuse léthargie et laisser les images venir d'elles-mêmes. Elles allaient se cogner à ses neurones, puis repartir en douce, revenir bouillonnantes puis exploser devant ses yeux. La lueur s'imposerait d'elle-même.
Une demi-heure plus tard, il se souvint en effet : des petits pois ! voilà ce qu'il était venu chercher. Devant le rayonnage, 3 km de boîtes de petits pois s'alignaient avec discipline. Adamsberg ne se laissa pas désarçonner. Il parcourut des yeux chaque étiquette, allant et venant avec toute la lenteur qu'il lui était donné, laissant son esprit au repos complet. Puis soudain, une lumière, un point de couleur rouge clignota devant ses yeux. Stop ! C'est celle-là qu'il lui fallait ! Une boîte décorée aux couleurs de Noël où un vieillard barbu et ventripotent vantait la valeur nutritive du contenu. Le commissaire eut un doute : avait-on enjambé octobre et novembre sans qu'il ne s'en rende compte ? Décembre était-il déjà là ? Il haussa les épaules : après tout, pourquoi pas, novembre n'avait jamais été son mois préféré. Il regrettait cependant octobre, les premières feuilles mortes, la légère brume de l'aube qui se dissipait vers le milieu de la matinée, cette ambiance fantomatique qui lui seyait à merveille.
Lorsqu'Adamsberg posa son achat sur le tapis roulant, une blonde stéréotypée et manucurée lui lança une tirade qui faillit l'endormir sur pied. Il était question de grosseur du pois, de la qualité des épices, de l'eau de cuisson qui manquait d'assaisonnement. Enfin, c'est ce qu'il put extraire du flot de paroles qui se déversait sur lui. Le commissaire sourit à la mégère et lui glissa tout bas que cela n'avait pas d'importance puisque la conserve était destinée à Boule. Son chat. Boule aimait beaucoup jouer avec les petits pois. Et comme il s'ennuyait au commissariat, Adamsberg avait pensé lui apporter son jouet préféré.
À la sortie du magasin, il eut une vision furtive. N'était-ce pas Lucien Bonneville là-bas, à côté de la grosse voiture noire ? C'était le genre de véhicule que Bonneville affectionnait particulièrement. L'homme était de très haute stature, légèrement voûté et, signe particulier, il boitillait, ce qui lui donnait une démarche très caractéristique. C'est d'ailleurs grâce à cela qu'Adamsberg s'était rappelé son nom. Grand — voûté — boitillant = Bonneville. Son système mnémotechnique était certes faillible. Soudain, un autre détail surgit dans le nuage de coton qui lui servait de cerveau : le vieux Lucien était mort depuis au moins cinq ans. Six peut-être. Mais alors, que faisait-il ici ? Adamsberg s'approcha de son ami qui, comme par magie, s'évapora dans un nuage de gasoil.
Alice de Castellanè
« Mrs Dalloway annonça qu'elle irait acheter les fleurs elle-même. »(1) La party de ce soir s'annonçait très réussie. Lucie s'était occupée de tout, comme d'habitude. D'un pas léger, Clarissa Dalloway s'avança en direction de St James's Park. Tout Londres semblait s'être réveillé de bonne humeur. Le Mall froufroutait, comme à l'ordinaire, de robes, d'ombrelles et de dentelles,
La pluie dansait dans son cou. Couchée dans le pré du père Marcel, Marguerite considérait la vie, l'œil dans le vague. Marguerite, Marguerite. Était-ce vraiment son nom ? Elle aimait les mots, Marguerite. Et celui-là ne lui paraissait pas très soyeux.
Le train glissa en silence dans la lumière diffuse du mitan, abandonnant Cathy sur le quai désert. Décontenancée par l’absence de signalétique, elle farfouilla dans son sac et en ressortit la précieuse photographie. C’était bien ici, elle ne s'était pas trompée : le même village étincelait en face d'elle, sur la colline. Rassérénée, elle entreprit de gravir d’un bon pas la faible côte.
— Et arôme de pêche-coriandre pour celui-ci. Qu'en pensez-vous ?
— Je déteste la coriandre. Je cherche quelque chose de plus léger, plus fleuri.
—Alors notre collection d'été devrait vous plaire. Elle nous a été inspirée par des imprimés champêtres. Sachez aussi que nous préparons déjà la version automnale, fragrance boisée et truffée.
Albert, accoudé avec grâce à l'un des pré