Ils meurent par centaines, par milliers, crucifiés sur les barbelés de nos murs anti-invasions, échoués sur nos plages, largués par des pirogues de fortune, asphyxiés par les gaz d’échappement sous le plancher d’un train routier. Ils meurent par poignées, par grappes, sous les balles que nous avons fabriquées, avec l’argent que nous avons donné à leurs ennemis en échange de quelques litres de pétrole.
Nous les accusons de nous envahir, de venir voler notre or, notre travail, alors, nous fermons nos frontières, ne gardons que quelques minuscules trous de souris accessibles aux plus téméraires, au plus chanceux : féroce sélection naturelle.
\nHier, le drame a éclaté au grand jour, un bébé est mort, d’autres aussi, peut-être, sûrement ; intervenons, réagissons ! Alors, nous tweetons, partageons les photos de l’horreur, mais que dira le légiste ? Il est mort, ils sont morts, parce que nous n’avons rien fait. Je n’ai rien fait. Mais le Je se cache derrière le Ils.
\nHier aussi, I had a dream. Toutes les rues menant à Rome ou à Byzance étaient parsemées de pétales de roses d’un blanc pur. De prolifiques rosiers fleuris embellissaient les bas côtés d’où sortaient des rires de bambins, des panneaux « Bienvenue chez moi », un chemin conduisant à chaque maisonnée où un feu et des sourires accueillaient le voyageur.
\nMais le Je se cache derrière le Tu. Accueille, toi ! parce que moi je ne peux pas, tu vois, mon logement est trop petit, je n’ai pas le temps, je travaille trop et mes enfants, je ne peux pas les laisser jouer avec les leurs, tu imagines, ils ont des poux, ils sont sales, mal élevés, ne parlent pas français. Et ma femme, elle risque même de se faire violer, ma maison cambriolée. Non, tu comprends, moi je ne peux pas. Mais toi, tu peux, vas-y, toi !
\nAlice de Castellanè
Vert ! c'est ça, vert. Jamais ce mot n'aurait dû sortir de sa bouche, elle avait tenté de le ravaler aussitôt, fermant ses lèvres avec la paume de ses deux mains ; l'avait-il entendu ? À l’évidence. Il entendait tout, notait tout sur son petit carnet noir. Pourquoi ce mot avait-il jailli avec la brutalité d’une explosion, un bouchon de champagne qui saute, une bouteille qu'on aurait trop secoué
Le doigt d'Odette venait de se coincer entre le K et le L. Son bref cri de désolation se fondit dans la tourmente des cliquetis. Sa voisine hissa un sourcil compatissant sans tourner la tête, toute à sa missive qu'elle déployait staccato presto.
Ma chériiiiie ! tu vois, c'était un sublaïme après-midi de septembre, le temps idéal pour faire du shopping, pas trop chaud, pas trop froid, juste parfait. Alors, la nana, une blonde canon, mais ca-non, je te dis, un « 8 » parfait, probablement la petite cinquantaine, mais franchement, je te juuuuure, on ne lui en donnerait pas plus que quarante.
Salut ! Ne cherche pas plus loin, dans cette histoire, l’emmerdeur, c’est moi ! Depuis que je squatte ici, on dit de moi que je suis l’empêcheur de tourner en rond, le faiseur d’embrouilles, le grain de sable qui fait caler le moteur. Tout ça et bien plus !