
Elle vit dans son trou, comme on vit dans une tombe. Personne ne vient la voir, ou si peu. Même le soleil ne luit plus dans sa boutique. Sur les étagères, des rouleaux de tissus sombres, d'une autre époque, de lourds velours, des gris, du brun, rien de chatoyant.
Elle vit dans son trou, dans l’odeur de vieille cire, de cuir et du manque d’argent. De poussières surtout, particules de mémoire sans oubli.
Elle vit dans son trou et elle marmonne nuit et jour. Ses yeux, habitués aux couleurs sombres de sa palette d'intérieur, ressortent comme deux grosses billes dans son visage bouffi par l'inactivité. Et la maladie peut-être. On l'appelle la vieille chouette. Les jeunes mères menacent leurs petits, s’ils ne sont pas sages. Mais elles sont les premières à en avoir peur.
Elles se seraient bien laissées tenter par un ruban ou un bouton, une dentelle parfois. C'est si pratique d'avoir une mercerie au village. Pourtant aucune d'entre elles n'a jamais osé franchir le seuil.
La vieille chouette se tient quelquefois dans la vitrine, derrière une pile de draps rongés par les mites. Rongée, elle aussi, de l’intérieur. Elle perce les passants de son regard de hibou, un regard fâché. Fâché avec la vie.
On prétend qu’elle vend des potions, des sortilèges, le soir venu quand les mères chantent des berceuses à leurs enfants et que seules les filles qui ont fauté se laissent aller à la retrouver. Mais personne ne le sait vraiment. On le dit, c'est tout.
Mais elle ne vend rien. Elle ressasse le passé, ses fils morts à la guerre, tous les trois, son mari, mort de douleur. Elle est restée figée dans les cendres et n'attend que son tour. Dans le silence de sa boutique.
Alice de Castellanè
Marseille, fin mai 1720
Marie Dauplan avait l’habitude des matelots : dix ans qu’elle était lavandière sur le port de Marseille, autant d’années à laver les chemises des marins qu’à soulager leurs effusions après de longs mois d’abstinence. Alors, quand elle fut mandée sur le Grand-Saint-Antoine, elle n’imagina pas une seconde que son destin allait très bientôt être s
Saint-Rémy de Provence — Janvier 1894
Augustine serrait dans ses grosses mains rêches de paysanne la vieille corde de chanvre qui servait d'ordinaire à hisser les bottes de foin dans le grenier. Elle la tournait et retournait, comme pour en tester la solidité, alors qu'en réalité, elle testait son propre courage.
La pluie tombe d'une langueur monotone. J'avance au rythme de mon frère qui me précède d'un pas imperturbable. Les gouttes cabriolent à mes côtés, me percutent, dansent sur mon dos.
Un dernier coup de reins, et son quota atteint, il pourrait enfin se reposer. Cinq minutes que Ssaxy s'échinait sans grande passion, l'œil vissé sur cette horrible suspension hétéroclite. Les fils métalliques vacillaient sous le souffle des participants. Ils vibraient sous leurs cris rauques, se trémoussaient sous la brise des va-et-vient lascifs, brillaient quand l'un d'entre eux parvenai