Pièce en 1 acte
Le foyer des artistes, derrière la grande scène de l’Opéra de Paris. La pièce est nue, sauf quelques chaises çà et là. Six ou sept danseuses en tutu vont et viennent sur la scène, s’étirent, font des pauses, des mines. Au fond, côté jardin, trois hommes distingués, en habit noir et haut de forme les admirent ou les jugent.
Au premier plan, côté cour, une ballerine d’une vingtaine d’années, Éléonore Bersonval est avachie sur le sol, coude sur la cuisse et tête reposant dans la paume de sa main.
Au centre, de profil, une femme d’un certain âge, croulant sous les froufrous de ses manches gigot et de sa crinoline, assise sur un simple tabouret de bois, tient entre ses mains un gros livre. Debout à ses côtés, un petit rat tout timide, Marie-Perrette Favier, âgée d’à peine 16 ans, ainsi qu’un vieux monsieur, le marquis de Barbentane.
- - -
LE MARQUIS
Et vous me dites que cette jeune personne vient tout juste d’arriver à l’Opéra ?
LA VIEILLE
Oh que oui, et j’peux vous jurer (elle crache par terre) qu’elle est encore vierge !
ÉLÉONORE BERSONVAL (marmonnant)
Vierge ? D’où qu’elle sort cette p’tite mère-là, ne voit-elle pas que le maître de ballet est le premier à tester la marchandise ? (plus haut) Menteuse !
LE MARQUIS
Elle a de la prestance, de jolies chevilles. Mais, danse-t-elle avec grâce au moins ?
LA VIEILLE
Pour sûr ! (s’adressant à Marie-Perrette) Montre à monsieur c’que tu sais faire. Et souris un peu, fichtre ! (La jeune fille exécute timidement quelques pas de danse)
ÉLÉONORE BERSONVAL (assez fort pour être entendu du marquis)
Elle danse, oui, elle danse ! Mais comme elle danse mal. Elle n’aime pas ça et ça se voit. Tandis que moi, c’est ma raison de vivre. Regardez-moi ! (Elle se lève et virevolte avec grâce autour du marquis qui lui jette de rapides coups d’œil. Puis elle retourne s’asseoir.)
LE MARQUIS
Parlons peu, mais parlons bien. Combien en demandez-vous ?
LA VIEILLE (elle note dans son livre de compte)
Pour moi-même, la modique somme de 20 000 francs et pour elle, une rente mensuelle de 1 500 francs. Vous aurez l’obligeance, cher Marquis, de verser aussi à ses parents une petite pension de 100 francs par an.
LE MARQUIS
Si peu ; a-t-elle des tares ; que me cachez-vous ? Allons donc, je les veux saines et solides !
ÉLÉONORE BERSONVAL (se levant et s’adressant au marquis)
Une seule maîtresse ne vous suffit donc pas ; combien en voulez-vous ? Regardez, là, elles sont toutes à votre disposition, parées pour vous aguicher, ayant vendues leur âme au diable à la minute même où elles ont posé leurs petits pieds sur la scène de l’Opéra ! Celle-là c’est Mlle Dumont qui est sous la protection du marquis de Villeroy et voilà Mlle Coignard, maîtresse adulée — et couverte de diamants — du marquis d’Argenson. Vous voyez, c’est facile, servez-vous !
LA VIEILLE (qui avait tenté en vain de s’interposer)
Mais comme elle y va ! (elle chasse Éléonore et attire le marquis près de son visage) C’te petite (pointant du doigt Marie-Perrette qui est devenue fort rouge) est tout ce qu’il y a de plus fraîche. Sa jeunesse vous ragaillardira (elle se gausse), même s’il est vrai que vous aurez à lui apprendre les bonnes manières. C’est qu’c’est une paysanne, vous savez !
LE MARQUIS
Je la formerai. C’est entendu. Quant à cette demoiselle (il montre Éléonore), qui s’en occupe ?
LA VIEILLE
Personne. Elle est indépendante et miséreuse. De t’te façon, elle a perdu toute sa primeur. Voyez comme elle est aigrie. Ça fait bien trop longtemps qu’elle refuse mes services. Oubliez là ! J’peux vous proposer beaucoup mieux, regardez celle-ci ou celle-là (elle se tourne vers les danseuses) comme elles sont gracieuses !
LE MARQUIS
C’est elle qui m’intéresse. (Puis s’adressant à Éléonore). Mademoiselle, j’ai une proposition à vous faire : accepteriez-vous de venir vivre dans mon hôtel parisien et d’y danser pour moi et mes amis, en privé ?
ÉLÉONORE BERSONVAL
Pourquoi moi ; et pourquoi pas ces filles que la « mère » vous propose, hein ? Vous pensez pouvoir m’acheter un bon prix moi aussi ? Et bien, sachez que je ne suis pas à vendre !
LE MARQUIS
Soyez sans crainte, je vous propose un honnête contrat de travail. Nourrie et logée. J’apprécie votre attitude fière, Mademoiselle. Vous me plaisez beaucoup.
LA VIEILLE (qui arrive tirant-poussant une autre danseuse)
Celle-là, elle vous conviendrait pas, à tout hasard ? Allez, fais quelques grâces à monsieur le marquis ! (Elle lève la jambe et la met sous le nez du vieil homme.)
LE MARQUIS (repoussant la jambe)
Peut-être un autre jour, merci. Je cours chez mon notaire pour y faire préparer le contrat de votre petite (et se tournant vers Éléonore) ainsi que le vôtre, Mademoiselle.
ÉLÉONORE BERSONVAL
C’est que, j’ai pas encore pris ma décision.
LE MARQUIS
Et bien, décidez, décidez !
ÉLÉONORE BERSONVAL
Là, tout de suite ?
LE MARQUIS
C’est cela.
ÉLÉONORE BERSONVAL
Mais, je ne peux pas !
LE MARQUIS
Alors, tant pis pour vous. Au revoir Mademoi…
ÉLÉONORE BERSONVAL
Non, non ! attendez, j’accepte, c’est oui !
LE MARQUIS
C’est parfait. À tout à l’heure !
Il traverse la pièce et retrouve un ami au fond de la scène, tandis que la vieille s’enfuit avec son tabouret et son livre sous le bras. Marie-Perrette et Éléonore rejoignent, elles aussi, les coulisses.
L’AMI
As-tu pu faire ton marché ?
LE MARQUIS
J’en ai trouvé deux. La première, presque vierge, servile et corvéable à merci paraît suffisamment solide pour tenir nos assauts répétés durant quelques années. La seconde est tout autre : plus de toute première fraîcheur, certes, c’est cependant une tigresse qui demande qu’à rugir. Elle assurera à elle seule le spectacle. Je la vois déjà, menottée à une cage en or, crachant, vociférant. Qu’en penses-tu ?
L’AMI
Je pense que feu Donatien Alphonse François de Sade n’aurait pas à rougir de ton inventivité !
Alice de Castellanè
Le train glissa en silence dans la lumière diffuse du mitan, abandonnant Cathy sur le quai désert. Décontenancée par l’absence de signalétique, elle farfouilla dans son sac et en ressortit la précieuse photographie. C’était bien ici, elle ne s'était pas trompée : le même village étincelait en face d'elle, sur la colline. Rassérénée, elle entreprit de gravir d’un bon pas la faible côte.
Je suis morte. Anéantie, je n'existe plus. Mon corps est autre. Souillée.
Le week-end avait pourtant commencé sous d'heureux auspices.
Nous étions tous très beaux, nantis de soieries et dentelles. « Luxe, calme et volupté. » Nous étions jeunes, nous étions là pour nous amuser, boire et danser, voire plus si entente. Si entente.
Le cadre, un jeu
Sa mémoire vacille. Il s'accroche à chaque brin, filaments ténus qui flottent quelque part dans sa tête. Il voit des choses, des flashs parfois ou une lumière diffuse, comme la couleur bleu pâle de la robe d'été de cette jeune fille. Il réfléchit, ne sait plus si son prénom lui a toujours été inconnu ou s’il s'est égaré dans son passé. Il a dû lui susurrer des mots doux, l'appeler de petits nom
Salut ! Ne cherche pas plus loin, dans cette histoire, l’emmerdeur, c’est moi ! Depuis que je squatte ici, on dit de moi que je suis l’empêcheur de tourner en rond, le faiseur d’embrouilles, le grain de sable qui fait caler le moteur. Tout ça et bien plus !