Aussi loin que je me souvienne, j'ai vécu dans l'ombre de lugubres boyaux sous-terrains. Nauséabonds. Je ne sus jamais pourquoi je fus le seul de ma famille à en souffrir. Jour et nuit, à en avoir la nausée.
Ces jours, vécus dans l'horreur à laquelle ma naissance m'avait conscrit me paraissent désormais une éternité. Pourquoi n'ai-je pas fui plutôt ? Englué dans mes habitudes ; engoncé dans le carcan de la pression sociale ; à moins que la peur ne me gouvernât ? Puis soudain, je pris cette décision. Il n'y eut aucun déclic palpable, aucun coup de tonnerre ne vint me frapper. Ce fut juste le bon moment, un éclair de lucidité mêlé d'insouciance.
Je me faufilai donc entre les circonvolutions sanguines et les étoiles des neurones. Je ne comptai plus le nombre de fois où je me cognai contre les parois de ce crâne dont sa lisseté n'octroyait aucun repère. Combien de fois passai-je et repassai-je devant cet insolite amas gélatineux ? Je ne tins aucune statistique susceptible d'éteindre ma motivation. Mais un jour, lorsque je crus avoir atteint le fond de ma résistance aux odeurs et à la promiscuité, je revis cette chose, ce mollusque étrange. Sous les assauts convergents de mes frères coléoptères et de quelques fourmis, le jour apparu enfin en transparence. Victoire ! La sortie était enfin à ma portée. À moi les cieux purs et les grands espaces !
La traversée de ce qui restait de cet œil glutineux fut chose aisée. Ma première bouffée d'air me fit hoqueter, peu habitué que j'étais à cette quantité astronomique d'oxygène. Mais j'y pris plaisir et m'aventurai au loin. J'abandonnai le corps de ce pauvre homme, mon home, ma patrie, sans l'ombre d'un regret. Pourtant, bien vite, la faim me tenailla. Le parquet ciré ne m'offrit aucune source de nourriture : ni cadavre, ni même un brin d'herbe. C'est alors que je découvris ce qui fit mon bonheur pour l'éternité et bien plus.
Devant moi, une immense étagère de bois verni. Et dans chacune des alvéoles, des… choses empilées. Certes, à première vue, ces rectangles plus ou moins rigides, plus ou moins épais, décorés d'une ribambelle de signes cabalistiques n'offraient guère d'intérêt. À quoi pouvaient-ils servir ? L'odeur et la texture de l'un d'entre eux relié de cuir m'inspirèrent le respect. Je grignotai un petit bout et le trouvai fort à mon goût.
C'est ainsi qu'au fil du temps, je laissai ma trace dans les pages de ce précieux livre, signant de mes excrétions mon passage sur cette terre.
Alice de Castellanè
La bouche déversait un flot continu de grossièretés qui s'écoulaient sur le sol pour former une mélasse malodorante. Le peintre, genoux à terre, recevait cette boue verbeuse à pleines mains pour la sublimer sur son immense toile.
(court métrage)
1. Int/Jour – Coffee shop new-yorkais
Café typiquement new-yorkais, grands tableaux mentionnant les différentes boissons, tables hautes, confortables sofas, etc. KEVIN, un jeune homme (18-22 ans) est assis à l’une des tables rondes traditionnelles en face de SOFIA, jolie quinqua, blonde. Ils boivent un
– Seigneur, voilà que la première vendeuse se pâme !
– Vous croyez qu'elle est grosse ?
– Il se peut. Cela fait trois mois tout juste qu'elle a épousé Pierre Guichard, le second à la soie.
– Et ce Pierre-là serait le père ?
– Vous en doutez ?
– Ces dernières semaines, je l'ai souvent vue dans le bureau du sous-directeur.
– Voulez-vous dire qu'elle a… qu'avec
Son univers craquelle, un capharnaüm multicolore s’épand puis s’ébat dans sa tête. Il hurle, se déchire les tympans. Comment a-t-elle pu l’abandonner, seul, dans ce désert peuplé de loups hargneux ? Des dragons venus d'outre-tombe le harcèlent, l'ensorcellent, l'agrippent de toute part. Des nuances de rouge, de gris s’entremêlent devant ses yeux. Les ombres l’embrochent.