— Tu me sembles épuisé. Ta journée ne t'a pas apporté toute la satisfaction espérée ?
— Tais-toi, j'ai pas envie d'en parler.
— Je crois que si, bien au contraire. C'est non seulement la fatigue que je peux lire sur ton visage, mais aussi de la tristesse. Peut-être. Ou de la crainte, je n'arrive pas toujours à décrypter tes expressions.
— De quoi j'aurais peur, hein, crétin ? Tout s'est passé comme sur des roulettes. Merci. Et maintenant, dégage !
— Je sens bien que tu n'es pas tranquille. C'est la troisième bière que tu avales et vu le stock à tes pieds, ce n'est pas la dernière.
— Peuh, tu vas pas me faire chier pour une bière, hein, connard ?
— Ce qui me fait souci, c'est la vodka juste à côté. Et ces pilules blanches, là.
— Simple précaution. Pour le cas où tu m'emmerderais, en fait. Donc, lâche-moi la grappe.
— Non, non, dans ces cas-là, il faut parler, extérioriser ses sentiments. Je ne t'abandonnerai pas. Je suis ton meilleur ami, ne l'oublie pas. Raconte-moi ce tournage. L'actrice était belle ?
— Bof, comme d'hab. Tout en fard et artifices. À la fin, elles me dégoûtent. Toutes.
— Peut-être que l'intrigue ne correspond pas à tes véritables désirs ?
— Arrête de me baratiner ! Tu me ressers toujours cette même rengaine. Le scénario est très bien. Je ne veux pas le modifier. C'est un truc rodé. Je peux filmer sans l'aide de personne et mes vidéos ont un certain succès.
— Oui, mais si c'est pour être malheureux à chaque fois !
— Mais je suis HEU-REUX ! Arrête, arrête, arrête !
— Très bien, je me tais. Désolé !
— ...
— Mais si je puis me permettre, une simple petite variation pourrait changer ta vie. Et la mienne par la même occasion.
— Tu peux vraiment pas la boucler plus de deux secondes, hein ?
— En fait, c'est la fin qui pose problème. Tu l'as dit toi-même. Tu pourrais donner une autre issue à ton histoire, ne penses-tu pas ?
— Non. Et non. C'est la chute qui pimente le tout ! Tu comprends vraiment rien à rien, toi ! Filmer un mec — moi — baiser une nana, n'a rien d'excitant. Le public attend autre chose !
— Mhmm, note que l'approche de la fille sort déjà assez de l’ordinaire. Tu la plaques contre un mur, l'empêches de crier, lui soulèves les jupes et la prends avec violence. J'aurais mon mot à dire là-dessus aussi, mais chaque chose en son temps. Parlons de cette chute, si tu veux bien.
— Mais non, je veux pas ! Je veux pas, je veux pas ! C'est toi qui insistes sans arrêt. T'es un stupide disque rayé, mec !
— Ne nous égarons pas. Tu prétends que le public attend autre chose qu'une banale scène de sexe, c'est bien ça ?
— Ben ouais, quoi. Tu crois que les types qui m'achètent mes vidéos s'intéresseraient à des trucs soft. Non, mais tu rêves ! Ils veulent du hard, du X dans toute sa splendeur.
— Mon ami, as-tu déjà pensé à te reconvertir ? Travailler avec de vraies actrices, pas des filles que tu rafles dans la rue. Leur faire tourner de belles histoires, des...
— Ha ha ha ! T'es con, mec ! Des films à l'eau de rose, pendant que t'y es, hein ? Un truc bien sucré, bien chamallow. Non mais t'as vu ma tête ? Il me manque la moitié des dents, j'ai déjà presque plus de cheveux. À vingt-quatre ans ! J'suis moche. J'ai tout raté. J'ai pas d'autres choix pour survivre ! Tu crois que je croupis dans ce taudis pour le plaisir ? J'ai. Pas. Le. Choix.
— Je pense surtout que tu arrives à un tournant de ta vie. La police est à tes trousses. Prends l'argent que tu planques sous ton matelas et envole-toi pour l'Espagne ! Ou la côte dalmate. Il paraît que là-bas les filles sont jolies et ne demandent qu'à jouer.
— Et ? ça changera quoi ? où que j'aille, j'aurais les flics sur le dos !
— Tu repars de zéro. Tu inventes un autre scénario. Tu vises un public différent, plus féminin peut-être. Inspire-toi de Fifty Shades of Grey par exemple. Implique tes actrices dans l'écriture. Tu restes derrière la caméra, tu deviens réalisateur. Et vous vous rémunérez, toi et les comédiens, avec les publicités YouTube.
— Payer les actrices ? T'es pas bien toi ? Pourquoi je les paierais si de toute façon je les zigouille à la fin de la séquence ?
— (*soupir*) Mais c'est le but ! Tu leur laisses la vie désormais !
— Putain ! Mais qui m'a donné une conscience pareille !
Alice de Castellanè
Il y a celles, gracieuses et légères, devant qui la barrière s'ouvre, avant même qu'elles n'aient eu le temps de ralentir leur marche vers le bonheur. Il y a celles, posées, qui s'arrêtent un instant, le regard tourné vers l'espoir et devant qui l'avenir se prosterne.
Quand elle reprit le modeste café de la rue Bobillot, Maya n'avait pas eu besoin de consulter un quelconque designer pour l'aider à choisir l'ambiance de son vingt mètres carrés. Elle ne voulait pas en faire un énième pince-fesses, terrain acquis à la paillardise des hommes.
La crotte de pigeon avait éclaboussé le haut du pare-brise et perlait par paquets vert marron striés jaunasse. Bien entendu, il n'y avait plus de détergent dans le réservoir et l'essuie-glace chuintait sur la vitre en étalant la merde partout.
Le soleil d'été avait déposé sa chape de plomb sur la Provence. Plus rien ne bougeait ni cils ni feuilles. L'heure sacrée de la sieste avait sonné et même les oiseaux s'étaient tus.
Toutes les personnes ayant un peu de bon sens s'étaient réfugiées à l'intérieur, dans la fraîcheur du vieux mas, mais Alice avait préféré rester lire sur le perron, à l'ombre du platane ce