Anaïs déploya ses petits bras trop maigres, prête à s'enfuir. Elle les agita, mimant l’envol d’un oiseau.
Qu'attendaient-ils là haut ?
Pour ne pas flétrir cette aura de zénitude qui l'enveloppait, elle glissa sur le faux sable devant l'hologramme de plage ensoleillée. Ses jambes, deux baguettes fragiles, la soutenaient dans une danse évanescente. Tout était grâce chez Anaïs, même en cet instant ultime. Ses cheveux lisses, d'un blond presque transparent lui avaient donné autrefois un air de madone enfantine. Avant qu'elle ne les perde par poignées. En ce jour décisif, elle avait dissimulé son crâne dénudé sous un turban sophistiqué. Elle y avait accroché perles et diamants, rien que des choses précieuses. Sa silhouette longiligne et souple, son port de tête altier avaient fait d'elle une icône de la mode, une égérie pour les marques de luxe. Avant que la santé ne l'abandonne. Que le monde ne la déserte. Elle n’était plus que l’ombre de la resplendissante elle-même. Une fleur fanée avant l’âge. Une femme coupée de sa féminité, ses seins l’ayant trahie. Par deux fois.
Si dans l’ensemble le voyage organisé par l’agence UnikTourSpace.com avait été parfait en tout point, ce rivage fictif ne l’illusionnait guère. Quel ersatz de beauté par rapport à ce qui prévalait à l’extérieur ! Vite, qu’ils fassent vite ! La dame en noir n’attendrait pas. Le trajet avait été assez éprouvant. L’apesanteur subie dans la navette spatiale Lynx Mark II qui l’avait amené jusqu’ici avait bousculé ses traitements médicaux. Son corps n’était plus qu’un vaste cocktail chimique : corticoïdes, antalgiques, psychotropes, antispasmodiques... Car la mort l'accompagnait depuis près de six ans déjà. Elle était devenue sa complice dans un rapport amour-haine : je te veux, viens me chercher, je n’en peux plus ! Va-t’en, laisse-moi encore vivre ! Jusqu’au jour où elle avait contacté cette agence spécialisée dans les vols suborbitaux pour ce voyage un peu particulier. Anaïs plongea les yeux dans les vagues frémissantes de l’hologramme. Un parfum d'embrun, quelques gouttelettes iodées lui frappèrent le visage. Sa vieille amie, maîtresse des ténèbres, en profita pour lui tendre la main. Anaïs y glissa la sienne. Elle était prête.
Qu'attendaient-ils là haut ?
Le chuintement des pistons d'ouverture du sas résonna dans l'espace restreint de la capsule. Elle y entra, déterminée, la main toujours dans celle impalpable de la mort. Comme convenu, elle appuya sur l’énorme bouton bleu. La porte du sas se referma derrière elle et le système de gravitation artificielle s’arrêta. Anaïs déploya ses petits bras trop maigres, prête à s'envoler. Elle plana un court instant dans la minuscule cabine. Puis tout se passa très vite. Une lumière se mit à clignoter quelque part sous elle. Elle avait dix secondes pour interrompre le processus si elle le désirait. Dix secondes pour crier STOP. Dix secondes infinitésimales pour revenir sur terre et mourir, déjà presque décomposée, sur un lit d’hôpital. Elle resta muette, serra encore plus fort la main de sa vieille ennemie. La porte extérieure de la capsule s'ouvrit d'un coup, la cabine se trouva soudain dépressurisée. Un puissant mécanisme la propulsa dans le vide intersidéral. Elle en perdit son turban qui flotta à ses côtés avec lenteur, long pan de tissu ondulant dans un au revoir.
Durant ses derniers instants, tournoyant dans le cosmos, Anaïs distingua la Station Spatiale Internationale qui l’avait hébergée. Elle devina le câble de liaison qui tractait le module multi-usage qu’elle venait de fuir, île éphémère accrochée dans l'espace. Là-haut, dans la Station, ils devaient maintenant hisser le container afin de le récupérer. Mais tout cela n'avait plus aucune espèce d'importance. La petite bombe qu’elle portait fixée sur son corsage explosa au moment même où elle consommait son ultime souffle d’air. Les constellations accueillirent la supernova dans ce paradis qu'était l'univers infini, au cœur des particules de vie. Poussière, elle retourna en poussières d'étoiles.
Tel avait été son plus cher désir.
Alice de Castellanè
Sa mémoire vacille. Il s'accroche à chaque brin, filaments ténus qui flottent quelque part dans sa tête. Il voit des choses, des flashs parfois ou une lumière diffuse, comme la couleur bleu pâle de la robe d'été de cette jeune fille. Il réfléchit, ne sait plus si son prénom lui a toujours été inconnu ou s’il s'est égaré dans son passé. Il a dû lui susurrer des mots doux, l'appeler de petits nom
La vieille patiente là, sur le pavé, rue Picpus, son étal à ses pieds. Comme chaque matin de chaque année depuis des lustres. Sur le tréteau de bois fatigué, trois boîtes de fer.
Il l’é
Marseille, fin mai 1720
Marie Dauplan avait l’habitude des matelots : dix ans qu’elle était lavandière sur le port de Marseille, autant d’années à laver les chemises des marins qu’à soulager leurs effusions après de longs mois d’abstinence. Alors, quand elle fut mandée sur le Grand-Saint-Antoine, elle n’imagina pas une seconde que son destin allait très bientôt être s
Mon buste contre ton torse, imberbe, fraise amidonnée, me caresse sous le froufrou des dentelles. Ton nez camus flaire l'affaire, pluie d'or et d'argent. Nos caissettes débordent. Jouissance entre tes longs doigts d'artiste. L'amour m'ensorcelle, mes robes tournoient, éclat opalescent. Nos reflets éclaboussent, ricochent. Abondance, magnétiques attraits, le monde à nos pieds.
Puis s