Le soleil d'été avait déposé sa chape de plomb sur la Provence. Plus rien ne bougeait ni cils ni feuilles. L'heure sacrée de la sieste avait sonné et même les oiseaux s'étaient tus.
Toutes les personnes ayant un peu de bon sens s'étaient réfugiées à l'intérieur, dans la fraîcheur du vieux mas, mais Alice avait préféré rester lire sur le perron, à l'ombre du platane centenaire.
Plus aucune vie ne daignait faire autre chose que respirer, hormis les cigales qui profitaient de leur dernier été jusqu'à en perdre haleine. Les poules, regroupées sous l'avant-toit du poulailler paressaient dans le sable sous l'œil à demi-fermé du coq assoupi. À l'extrémité de son champ de vision, Alice vit l'herbe bouger, puis une plume, puis une boule de plume : Rouxy, la petite poule rousse toujours affamée s'affairait dans le pré. Elle s'était affublée d'un chapeau de paille sur les probables recommandations de sa mère. Alice ne devait jamais aller tête nue au soleil sinon sa mère, à elle, piquait invariablement une crise. Rouxy avançait en ondulant entre graminée, insectes et vers de terre. Quand elle fut à la hauteur d'Alice, elle lui dit :
— C'est l'heure de la glace. Vanille, fraise ou chenille. Tu viens ?
— C'est comment la glace chenille ? c'est comme la glace barbapapa ?
— Tssss, tu ne connais rien à la vie, petite fille ! Chenille, c'est vert et brun. Bon, tu viens maintenant ? L'heure c'est l'heure.
Rouxy continua, benoîte, son chemin en direction du potager, tout en picorant avec avidité tout ce qu'elle trouvait de vivant sur son passage. Et comme Alice n'avait pas de rendez-vous urgent, elle se décida à la suivre. Après tout, personne n'aurait l'idée de refuser une glace !
Le potager était constitué de dix lignes et dix rangées de carrés d'osier surélevés, comme dans les jardins médiévaux. Dans chacun des carrés, un doux mélange de légumes et de fleurs cohabitait joyeux et gai. D'immenses tournesols offraient leur ombre aux salades, des épis de maïs, sur lesquels grimpaient de hardis haricots, jouaient au chat et à la souris avec les trop nombreux plants de courgettes ou encore des cosmos dominaient, hautains, les futurs choux. Mais ce qui intéressait Rouxy, c'était les carrés de tomates. Chaque plan était installé en plein milieu et se développait avec l'exubérance du sud. Arrimées aux quatre coins, des barres métalliques constituaient une pyramide de soutien aux multiples lianes qui s'étaient formées. Et sous la pyramide, entre poireaux et basilic, une délicieuse cachette ombragée.
— Il s'agit de trouver le bon carré. Tu as reçu l'indice ? s’enquit la petite poule rousse.
— Non, quel indice ? demanda Alice éberluée.
— Incroyable ! mais que fait l'école ? Tout fout le camp. Bon et bien il va falloir fouiller chaque parterre de tomates. Tu vérifies les allées paires et moi les impaires ! On y va, jeune fille !
Le premier carré était planté de tomates 'Cœur de bœuf'. Alice glissa un œil précautionneux sous le manteau de feuilles. Confuse, elle retira presque instantanément sa tête. Gloops ! des gendarmes rouges et blancs faisaient crac-crac. « Fermez la porte ! Voyeuse ! C'est une fête privée, sortez de là ! Mais non, regardez comme elle est mignonne avec ses jolies boucles blondes, vient petite, vient, entre ! » crièrent-ils dans une stridente cacophonie.
Le deuxième carré qu'Alice aperçut était celui des tomates cerises jaunes. Elle en piqua quelques-unes en faisant bien attention de ne pas tacher sa jolie robe bleue à pois roses. Mmm ! qu'elles étaient bonnes : juteuses, tendres, acidulées. Cette fois-ci, c'était Craquotte, la minette toute de blanc vêtue, qui squattait l’espace.
— Craquotte, tu n'aurais pas vu le marchand de glaces par hasard ?
— Oh que non ! ignorante demoiselle, tu ne sais donc pas qu’elles se trouvent uniquement dans la mare aux grenouilles ?
— C'est Rouxy qui m'a dit qu'on pouvait en manger sous les plants de tomates ! répliqua Alice, un tantinet offusquée qu'on ait pu la prendre pour une idiote.
— C'est exact ! mais le marchand n’y est pas. C'est Fanfan qui s'est proposé pour apporter des glaces. Il a dû aller les pêcher à l’aube, dans la mare. Directement du producteur au consommateur.
— Oh ! Qui est Fanfan ? et elles n'ont pas fondu depuis ce matin avec cette chaleur ?
— Fanfan, c'est le chef des lapins, répondit Craquotte. Et pour ta gouverne, non, les glaces seront glacées à souhait, car il les a stockées dans les nénuphars. Aucun souci à se faire.
— Et tu sais où l'on peut trouver Fanfan-le-lapin ? s'enquit Alice, rassurée quant à sa future friandise.
— Bon, viens, allons-y ensemble si tu insistes. J'avais de toute façon envie d'une glace, moi aussi.
— Attend, j'appelle Rouxy. Roouuuuuxy, Rouuuuuxyyyyyy ! hurla Alice, ses mains en porte-voix.
Rouxy accourut ventre à terre, comme si elle avait un lapin de garenne à ses trousses.
— Me voilà, me voilà, haleta-t-elle. As-tu trouvé quelque chose ?
— Non, répondit Alice, mais Craquotte sait où il faut se rendre.
— Ah, mais non ! miaula celle-ci, je n'ai jamais dit que je savais ! C'est toi qui as l'indice, non ?
— Mais non, je n'ai pas reçu d'indice, trépigna Alice, tapant du pied d'exaspération. Comment aurais-je pu recevoir quoi que ce soit puisqu'il y a quelques minutes à peine je ne savais même pas qu'on allait chercher des glaces ?
— Ne t'énerve pas, c'est inutile, voire même nuisible avec cette chaleur ! bailla Craquotte, déjà fatiguée à l'idée de devoir se retrouver en plein cagnard. J'ai trouvé ! je vous attends là, au cas où Fanfan passerait, et vous, de votre côté, vous continuez à chercher. Vous m'appelez si vous dégotez quelque chose. D'accord ?
— Good idée, je tiendrais compagnie à Craquotte ! renchérit Rouxy qui en profita pour sortir un jeu de cartes de sous son aile et enlever son chapeau de paille qui lui grattait le crâne. Tu veux que je te prédise l'avenir ? demanda-t-elle au chat.
— Bon, et bien, je vais continuer ma quête toute seule puisque vous m'abandonnez, sales bêtes ! Par contre, pas sûr que je pense à vous avertir si je trouve les glaces ! répliqua Alice avec humeur.
Délaissant le potager, Alice s'en fut dans le verger où selon toute probabilité, elle pourrait trouver Fanfan parmi ses amis, entre herbes hautes et bosquets. Ça et là, quelques biquettes grignotaient de jeunes pousses et approximativement trois moutons roupillaient à l’ombre des chênes verts. L'enclos des lapins, un parcours libre, sinuait avec paresse entre amandiers, cerisiers, abricotiers et de nombreux autres fruitiers. D'ailleurs, les pêches étant mûres à souhait, Alice en profita pour en chaparder une. Un délice chaud, sucré, fondant, dégoulinant même. Zut ! elle avait oublié son mouchoir. Dans ces cas-là, rien ne remplace l'herbe. Alors qu'elle s'agenouillait pour s'essuyer les mains, son regard porta sur une espèce de masse d'acier, toute ronde, dont le ventre se soulevait au rythme de sonores ronflements et d'où sortait un étrange tintement métallique. Alice s'approcha et, ô surprise ! c'était un réveille-matin qui siestait peinard sous les mûriers ronces. Alice ne put s'empêcher de retenir un petit rire nerveux ce qui réveilla brutalement, dans un vacarme de sonneries stridulantes, la pauvre pendule qui ne savait plus où elle était, ce qu'elle faisait, dans quel état elle errait.
— Quelle heure est-il ? quelle heure est-il ? demanda-t-elle affolée.
— Mais c'est toi qui as l'heure, tu devrais savoir !
— Et je peux lire comment l'heure, hein ? mes yeux sont fixés sur le crâne, les aiguilles sont sur mon ventre et Je. Ne. Peux. Pas. Plier la tête ! éructa le réveil avec une légère pointe d'exaspération.
— C'est vrai, reconnut Alice, tu es la réplique exacte du tacot de ma grand-mère. Alors, je te dis l'heure, si tu me donnes l'indice, reprit-elle en prenant les devants (car la question de l'indice n'allait pas tarder à ressurgir, elle en était persuadée).
— D'accord. Toi d'abord.
— OK. Il est trois heures dix, répondit Alice, bon prince.
— Merci.
— (…)
— Et l'indice alors ? fit Alice, impatiente.
— Bon, bon, je ne suis pas censé te le donner, mais allez, je fais une petite exception pour tes jolies boucles dorées. Tu vois le terrier là-bas ? Vas-y, tu y trouveras Fanfan.
— Merci le Réveil ! À bientôt et bonne sieste.
Alice courut toute joyeuse vers la maison du lapin, enfonça sa tête dans le trou, perdit l'équilibre et plongea désespérément dans un abîme sans fin.
***
Le bruit sec et mat du livre qui venait de tomber de ses mains tachées et toutes ridées sortit Alice de sa torpeur. Olivia, la toute jeune aide-soignante de la maison de retraite, s'approcha d'elle et lui demanda avec gentillesse : « Toujours ce même rêve, Alice ? »
Alice de Castellanè
C'était main dans la main que Louise et Charles prirent à l'aube le chemin de la plage. Charles déposa son marcel sur la barrière de bois blanc qui ceignait leur modeste logis de vacances.
Ils marchèrent un peu, jusqu'à resse
— Et flûte !
C'était le troisième ongle qu'Elena se cassait, sans compter celui qu'elle avait rongé jusqu'aux cuticules. Bien entendu, sa manucure ne viendrait pas avant Dieu sait combien de temps.
Tic, tac, la vie file et le temps rétrécit. Dix poursuivants, ballet bourdonnant, la traquent, la frôlent, s'enroulent autour de ses reins. Juste aujourd'hui, une ou deux heures encore ou demain peut-être, si le soleil brille. Maya la jeune vierge, joue l'esquive, s’égaye et s'enfuit pour mieux les exciter. Sa fougue enflamme leurs ardeurs. L'un des chasseurs s'agrippe à son buste et sans
Aussi loin que je me souvienne, j'ai vécu dans l'ombre de lugubres boyaux sous-terrains. Nauséabonds. Je ne sus jamais pourquoi je fus le seul de ma famille à en souffrir. Jour et nuit, à en avoir la nausée.