
Les mains en éventail devant elle, Victoire de Nostredame sniffait l’air par touchettes : cuirs cabossés, parchemins racornis, sueurs de copistes. L’archiviste l’avait sermonné, ne manipuler que le strict nécessaire.
Le Grand Pentacle de Salomon, même dilué dans les grisures du temps, portait en lui toute sa puissance. Elle tira de son sac un feuillet de vélin jauni qu’elle plaça juste en face. Un coup d’œil, simple contrôle, aligner, comparer : la symbolique était désormais complète.
D’un murmure, elle appela à elle une spirale enveloppante, carapace protectrice des forces maléfiques. Car Victoire s’apprêtait à dompter toutes les créatures terrestres, à la gloire de son immortelle famille ! Elle se hissa sur la pointe des orteils, inspira les énergies ancestrales et tendit ses bras à l’horizontale :
Et dominabitur a mari usque ad mare
et a flumine usque ad terminos orbis terrarum
Aucune lumière ne jaillit. Aucun martèlement ne sortit des ténèbres. « Dommage, se dit-elle, j’aurais bien vu un peu de spectacle ! » Puis, soudain, la pièce se mit à tournoyer et ses repères se fondirent dans un océan de sens en perdition. Elle qui fut Victoire de Nostredame, dernière héritière du plus grand devin de l’histoire venait de se réincarner en vulgaire souris.
Elle se crut morte. Une terrible prostration la coucha sur le sol. Puis, une colère monstrueuse submergea son petit corps. Comment avait-elle pu rater ça ? La pression qui reposait sur elle avait dû être trop forte. Et mince, flûte et zut ! Elle s’en fut trouver, claudiquant, une sortie à sa taille.
Alice de Castellanè
À l'heure de none, dans ce jardin provençal que rien ne distingue, où santolines et lavandes fusionnent en un écrin d'ocre et d'améthyste, le temps de la sieste s'étire imperceptiblement.
Aussi loin que je me souvienne, j'ai vécu dans l'ombre de lugubres boyaux sous-terrains. Nauséabonds. Je ne sus jamais pourquoi je fus le seul de ma famille à en souffrir. Jour et nuit, à en avoir la nausée.
C'était main dans la main que Louise et Charles prirent à l'aube le chemin de la plage. Charles déposa son marcel sur la barrière de bois blanc qui ceignait leur modeste logis de vacances.
Ils marchèrent un peu, jusqu'à resse
Sa mémoire vacille. Il s'accroche à chaque brin, filaments ténus qui flottent quelque part dans sa tête. Il voit des choses, des flashs parfois ou une lumière diffuse, comme la couleur bleu pâle de la robe d'été de cette jeune fille. Il réfléchit, ne sait plus si son prénom lui a toujours été inconnu ou s’il s'est égaré dans son passé. Il a dû lui susurrer des mots doux, l'appeler de petits nom