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Son œil de poétesse épingle les petits riens, les accrocs, les cicatrices, dans cette ville ruisselante de soleil. Personne dans les rues à part elle, la fille du Nord. Les Provençaux siestent derrière leurs persiennes, tandis qu'elle mitraille les façades, les embrasures, les gargouilles.
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Ses clichés capturent les trucs pas droits, pas nets, qui racontent des vies. Le torchon lâché dans de larges mouvements accompagnant un verbe un peu haut, ce torchon qui pendouille désormais trois étages plus bas sur une grille hérissée de piquants. Un volet rouge vif, si vaniteux au milieu de cette alignée de volets gris. Un rideau de dentelle à semi-mangé par un lierre exubérant.
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Un voilage violet gonflé par la légère brise s'écarte. Une toute jeune fille se profile, apparition mystère dans cet espace-temps vidé de toute activité humaine. Pensive, elle arrose une plante d'un vert intense si insolite sous ce ciel qui délave les couleurs. Des feuilles si épaisses qu'on les devine gorgées d'eau en prévision d'un été encore plus aride que celui-ci. À côté du pot, un monstre de terre cuite.
Il est moche. Et il le sait. Une espèce de nain mal foutu, les oreilles pointues, la bouche toujours ouverte, langue pendante. Rien d’attractif, rien d’excitant. Mais il discerne des choses que même la photographe à la vue poétique perçante ne peut observer.
Il remarque l'eau qui dégouline de la soucoupe et forme, à ses pieds, de minuscules rivières sur le rebord de la fenêtre. La pierre, surface inégale, apparaît et disparaît sous le fleuve qui grossit sous la cascade de l'arrosoir. La chaleur zénithale sèche presque aussitôt certains lacs tandis que d'autres persistent. Le nabot, le regard fixe, se régale de cette activité quotidienne qui apporte la vie sur la margelle. Le flot charrie des détritus, un reste d'humus, des trésors. Une abeille se pose sur une de ces îles éphémères.
La matinée a été rude. La nourriture se fait rare en ces mois caniculaires. Les fleurs perdent leur éclat, se fanent. À peine écloses, qu'elles se meurent. L'abeille n'a guère eu le temps de leur rendre visite qu'elles s'éclipsent. Elle vient de parcourir en tout sens plusieurs kilomètres pour un résultat fort médiocre. Ses pattes sont à peine chargées de pollen, son jabot est vide de nectar. Pourtant, elle se sent lourde. Si lourde. Elle s'octroie une brève pause, juste un instant. Elle en profite pour pomper un peu d'eau. Elle se trouve déjà si vieille. Peut-être même qu'elle somnole, un court moment. Ses ailes frémissent sous la brise. Une fourmi s'approche, tâte le terrain.
L'affaire semble entendue. Le formicidé rebrousse chemin. Il suit le fil de coton bleu que le vent a promené dans ses bagages et qui forme un pont parfait entre l'île où l'abeille a échoué et la fissure sous la fenêtre où sa colonie s'est établie. La fourmi, chef du renseignement, passe la main à sa collègue, la chef des opérations et une troupe se met en branle.
Sur place, les cerveaux de l’équipe organisent bien vite le démantèlement de l’Apis mellifera. La sécurité assure les lieux, repoussant les éventuels assauts d'autres prédateurs. Les gros bras taillent à la hache le cadavre libérant le butin aussitôt transporté par les manutentionnaires. Les logisticiens trient, notent, classent, catégorisent les entrailles, les boules de pollens, les antennes.
Il ne faut guère plus de quelques secondes pour que la carcasse de l'abeille disparaisse en mille morceaux dans le nid des fourmis, bien à l'abri dans le creux du mur.
La margelle s'assèche et le regard du petit monstre se perd à nouveau dans l'abîme de l'inoccupation. La jeune fille range son arrosoir et ajuste le voilage violet qui se regonfle sous la brise.
Et la photographe soupire, repart les yeux rêveurs vers d'autres merveilles.
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Alice de Castellanè
Saint-Rémy de Provence — Janvier 1894
Augustine serrait dans ses grosses mains rêches de paysanne la vieille corde de chanvre qui servait d'ordinaire à hisser les bottes de foin dans le grenier. Elle la tournait et retournait, comme pour en tester la solidité, alors qu'en réalité, elle testait son propre courage.
Coordonnées GPS : 25.350914 x -32.460983
Rue du Général Fouettard – www.CafeMachin.com – 09 14 24 22 55
Le Café Machin est une petite merveille de l’architecture mixte du dernier millénaire. Son charmant intérieur allie néo-brocantage et philipp-starckisme avec beaucoup de talent.
Vert ! c'est ça, vert. Jamais ce mot n'aurait dû sortir de sa bouche, elle avait tenté de le ravaler aussitôt, fermant ses lèvres avec la paume de ses deux mains ; l'avait-il entendu ? À l’évidence. Il entendait tout, notait tout sur son petit carnet noir. Pourquoi ce mot avait-il jailli avec la brutalité d’une explosion, un bouchon de champagne qui saute, une bouteille qu'on aurait trop secoué
À l'endroit, des petits vieux charmants, souriants de toute leur mâchoire sans dents, des mamies et des papés auréolés de rares cheveux blancs cotonneux.
À l'envers, de sales gosses tous plus ou moins centenaires, têtus comme des mules, d'un égoïsme presque innocent.
On a envie de prendre les premiers dans nos bras, de leur dire qu'on