La bouche déversait un flot continu de grossièretés qui s'écoulaient sur le sol pour former une mélasse malodorante. Le peintre, genoux à terre, recevait cette boue verbeuse à pleines mains pour la sublimer sur son immense toile.
Ces bouches, voluptueuses, pincées, fines, flétries, jeunes ou insignifiantes, il avait été les cueillir à la sortie d'un match d'improvisation. Elles étaient capables de palabrer sans perdre haleine sur la simple impulsion d'une formule imagée.
Quand, dans l'une de ses bouches, le flot se tarissait, il l'invitait d'un geste à reprendre un billet dans la boîte, porte ouverte sur les souvenirs. [Clair de lune] engendra des mots doux. Du sucre d'orge se formait sur des lèvres câlines pour s'écouler, langoureux. De concert, à l'autre bout de la pièce, un rictus frémissant éructait un volcan de griefs, toute une vie d'amertume, stimulé par l'expression [vomi d'alcool]. Le peintre accrochait ces mouvements de lippes colorées, les transmutait pour les distiller sur son canevas. Sa recherche ne portait pas sur un vain esthétisme. Les bouches révélaient bien plus que des sentiments fugaces tels que le dégoût, le désir ou le doute. Elles étaient le miroir de l'âme, l'essence même de son humanité. Les mots émis façonnaient les bouches, leur imprimant une forme unique indissociable des fondements du cœur.
D'autres lèvres crièrent ou murmurèrent des litanies que les billets, [chatons joueurs], [craies grinçantes] ou [encens d'église] faisaient renaître dans leurs mémoires dans un tourbillon de souvenirs joyeux, tortueux ou écœurants. Des pépites, du sel de gemme, de la braise, autant d'émotions qui s'écoulaient des mouvements incessants de bouches rouge passion, rose bonbon ou marron tristesse. La cadence s'accélérait, les réminiscences affluaient et l’artiste, pris dans cette tornade en perdit les sens.
Exalté, il se leva avec hâte et hurla un tonitruant : « STOOOOOOP ! ». Toutes les bouches s'asséchèrent brutalement, statufiées sur leur dernier verbe. Il manquait l’essentiel, le combustible de la vie, ce qui faisait vibrer les hommes. Le peintre farfouilla alors dans la boîte et choisi l'ultime mot, immortel, le seul digne d'être conté : [cri d'amour]. Il mit son smartphone devant ses lèvres et filma, pour la retranscrire plus tard sur la toile, la plus belle des déclarations.
Alice de Castellanè
Aussi loin que je me souvienne, j'ai vécu dans l'ombre de lugubres boyaux sous-terrains. Nauséabonds. Je ne sus jamais pourquoi je fus le seul de ma famille à en souffrir. Jour et nuit, à en avoir la nausée.
Ce n’est qu’arrivé au centre de l’allée « Conserves et condiments » que le vieux Matthieu se rendit compte qu’acheter une boîte de petits pois allait s’avérer plus complexe qu’il ne le l’avait imaginé.
La crotte de pigeon avait éclaboussé le haut du pare-brise et perlait par paquets vert marron striés jaunasse. Bien entendu, il n'y avait plus de détergent dans le réservoir et l'essuie-glace chuintait sur la vitre en étalant la merde partout.
Un dernier coup de reins, et son quota atteint, il pourrait enfin se reposer. Cinq minutes que Ssaxy s'échinait sans grande passion, l'œil vissé sur cette horrible suspension hétéroclite. Les fils métalliques vacillaient sous le souffle des participants. Ils vibraient sous leurs cris rauques, se trémoussaient sous la brise des va-et-vient lascifs, brillaient quand l'un d'entre eux parvenai