— Et arôme de pêche-coriandre pour celui-ci. Qu'en pensez-vous ?
— Je déteste la coriandre. Je cherche quelque chose de plus léger, plus fleuri.
—Alors notre collection d'été devrait vous plaire. Elle nous a été inspirée par des imprimés champêtres. Sachez aussi que nous préparons déjà la version automnale, fragrance boisée et truffée.
Albert, accoudé avec grâce à l'un des présentoirs de cristal, sourit dans sa fine moustache lustrée. La scène est délicieuse et il s'en repaît avec jouissance. Le vendeur fait miroiter le flacon regorgeant d’un liquide bordeaux devant les yeux de sa cliente, mi-bobo, mi-artiste. La boutique se la joue chic et tendance, haut de gamme avec nonchalance, sise en notable position dans ce centre commercial du Faubourg Saint-Honoré.
Mais Albert n'est pas là pour ces vins concentrés et parfumés hors de prix. Il chasse la cougar encore fraîche et bien nantie. Pour l'heure, mise à part la très parisienne pète-sec qui donne du fil à retordre au commerçant, il n'y a guère de poissons dans la nasse. Juste un quadra, smartphone à bout de bras qui flashe un énorme QRcode à ses pieds et vers l'entrée, une agente de sécurité ceinte d'un gilet pare-balle fort peu seyant.
Au loin pourtant, dans la galerie, les yeux d'Albert vrillent sur une belle blonde, les bras tout étirés par ses nombreux achats qui dodelinent sur ses chevilles. Elle semble se diriger vers Vins Monogram. Le jeune homme se redresse, lisse sa moustache, vérifier sa mèche faussement rebelle, ajuste le pli de son pantalon. Sa montre de luxe bien en évidence — un cadeau d'une précédente conquête — il se tient prêt à harponner sa proie.
Soudain, un flash vert zèbre l'espace. Albert, aveuglé par l'intense lumière, retient un cri. Mazette ! Un pan entier du magasin s'écroule dans une herbe luisante. S'il le pouvait, il fuirait à toutes jambes. Mais il reste là, coincé, toujours souriant, benêt pétrifié.
— Crisp !
Le vendeur et sa cliente viennent de disparaître à leur tour dans le pré. Une demi-vache trône désormais en son sein, mamelle rose gonflée de fierté.
Albert, les pieds statufiés dans l'URL de Vins Monogram, ne réagit plus. Il sait qu'il va se dissoudre dans quelques secondes, emporté dans un tourbillon de colle, remplacé d'un coup de balai énergique par un pot de yaourt Hel&Vivre.
L’afficheur se hâte, la pause café l’attend au bout de la rue. Il ne prête pas attention à l’ultime souhait d’Albert : renaître quelque part dans cette ville, sur l'un des plus beaux emplacements publicitaires de la capitale.
— Crisp !
Je t'attends. Tu pars, mais je serai là, sur ce banc, à ne penser qu'à toi, mon cher mari.
La ferme végète. Par manque d'hommes, de chevaux, tous au front à maîtriser l'ennemi.
Mais le potager et le verger ne nous ont pas délaissés.
Je peux nourrir le petit Paul et donner mon lait à notre Yvette qui ne connaît pas encore tes bras valeureux.
Le télégramm
Il a joué. Il a perdu. Mais ne le sait pas encore. Les dés, c'est surprenant parfois. On croit aux chimères qu'ils véhiculent, au soleil les jours de pluie, aux miracles les nuits d’ennui.
La pluie dansait dans son cou. Couchée dans le pré du père Marcel, Marguerite considérait la vie, l'œil dans le vague. Marguerite, Marguerite. Était-ce vraiment son nom ? Elle aimait les mots, Marguerite. Et celui-là ne lui paraissait pas très soyeux.
« Mrs Dalloway annonça qu'elle irait acheter les fleurs elle-même. »(1) La party de ce soir s'annonçait très réussie. Lucie s'était occupée de tout, comme d'habitude. D'un pas léger, Clarissa Dalloway s'avança en direction de St James's Park. Tout Londres semblait s'être réveillé de bonne humeur. Le Mall froufroutait, comme à l'ordinaire, de robes, d'ombrelles et de dentelles,