
Une borie, tas de pierres amoncelées au fil du hasard, se dressait à deux pas du Petit Chaperon Rouge. Deux longues enjambées et elle pourrait trouver refuge dans cette rustique masure.
L'atmosphère confinée lui pesait sur ses mollets raidis. Surtout le gauche qui semblait bloqué en l’air, presque à l’horizontale. Son bras droit, tendu devant elle, la faisait souffrir aussi. Une envie de changement la prit soudain aux tripes. Cette vie si insipide, ce scénario si prévisible et surtout ce décor si imperturbable, elle n’en pouvait plus. En réponse magique à son désir, une gigantesque fleur bleue apparut sur sa gauche, au-delà des valons, au-delà de son univers. Elle n’était pas très douée en botanique. Était-ce une gentiane ? Non, une digitale, peut-être ? Aucune certitude. Le Petit Chaperon Rouge eut le loisir de l'observer sous toutes les coutures. Le genre d'horreur en papier mâché que sa grand-mère aurait pu avoir chez elle. Pas tout à fait la diversion espérée.
Elle jeta son regard sur le sommet tout pointu, à l'arrière de la borie. Il la narguait depuis bien trop longtemps avec son sourire crispé de vieille femme édentée. Cette montagne, par exemple, ne pourrait-elle pas arrêter de crachoter de la neige sèche à intervalle régulier ? Ça varierait un peu son ordinaire. Hélas, l'éruption quotidienne n'allait pas tarder. Le sol gronda, elle tremblota sur sa base et capta l'œillade amusée du loup qui semblait dire : « Eh oui ma petite, tu ne perds rien pour attendre ! »
Elle se retrouva quelques secondes la tête en bas et l'estomac dans les gencives puis tout le paysage se redressa. Son ennemi, la langue toujours pendante, n'avait pas bougé d'un iota. Pourtant, cette fois-ci, aucun crachoti ne sortit du volcan. Un instant d'hésitation et le Petit Chaperon Rouge se sentit ballottée de gauche à droite avec une fougue insoupçonnable. Elle faillit vomir, mais ne perdit pas pour autant sa pause d’éternelle fugitive.
Le calme revint. Le sol cessa de trembler. Elle glissa un œil vers son inséparable adversaire, figé à jamais à quelques centimètres d’elle. Rien ne viendrait perturber l’immobile scène.
***
D’un triste soupir, le vieil homme reposa sa boule à neige à côté de sa nouvelle acquisition, une jacinthe fort bleue et fort artificielle. « Encore une de foutue ! »
Alice de Castellanè
Son univers craquelle, un capharnaüm multicolore s’épand puis s’ébat dans sa tête. Il hurle, se déchire les tympans. Comment a-t-elle pu l’abandonner, seul, dans ce désert peuplé de loups hargneux ? Des dragons venus d'outre-tombe le harcèlent, l'ensorcellent, l'agrippent de toute part. Des nuances de rouge, de gris s’entremêlent devant ses yeux. Les ombres l’embrochent.
Pièce en 1 acte
Le foyer des artistes, derrière la grande scène de l’Opéra de Paris. La pièce est nue, sauf quelques chaises çà et là. Six ou sept danseuses en tutu vont et viennent sur la scène, s’étirent, font des pauses, des mines. Au fond, côté jardin, trois hommes distingués, en habit noir et haut de forme les admirent ou les jugent.
Il a joué. Il a perdu. Mais ne le sait pas encore. Les dés, c'est surprenant parfois. On croit aux chimères qu'ils véhiculent, au soleil les jours de pluie, aux miracles les nuits d’ennui.
La vieille patiente là, sur le pavé, rue Picpus, son étal à ses pieds. Comme chaque matin de chaque année depuis des lustres. Sur le tréteau de bois fatigué, trois boîtes de fer.
Il l’é